Sommet de la Francophonie en Tunisie. Photo de groupe des présidents Macky Sall, Mohamed Bazoum, Mohamed Ould Ghazouani et Ali Bongo à Djerba, 19 novembre 2022. Photo: LUDOVIC MARIN/AFP via Getty Images

Francophonie en Afrique : l'organisation doit réinventer son rôle et ses priorités

Le 17 mars 2024, le Niger annonçait son retrait de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Une décision marquante, qui s’inscrit dans une série de ruptures symboliques et diplomatiques opérées par les pays du Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger) avec les institutions perçues comme héritées de la colonisation.

En tant que chercheur ayant étudié les dynamiques géopolitiques du monde francophone, il est essentiel de s'interroger sur l'avenir de cette institution en Afrique. Au-delà du simple geste politique, cette sortie pose une question centrale : la Francophonie a-t-elle encore un avenir en Afrique, dans un contexte marqué par la montée du discours panafricaniste et la concurrence croissante d’autres blocs géoculturels, comme le Commonwealth ou la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP) ?

Alors que l’OIF affirme régulièrement dans ses communiqués officiels que l'avenir de la Francophonie se trouve en Afrique, la réalité géopolitique révèle des perspectives de déclin progressif. Ne risque-t-elle pas au contraire de décliner inexorablement ?

Une institution en perte de légitimité ?

Créée en 1970 par des chefs d’État africains (dont le Sénégalais Léopold Sédar Senghor et le Nigérien Hamani Diori), la Francophonie s’est d’abord pensée comme un espace de solidarité linguistique et culturelle. Officieusement, cette stratégie visait à éviter les conflits politiques et diplomatiques potentiels. Progressivement, elle a ainsi intégré une dimension politique en se dotant d’un mandat élargi : promotion de la démocratie, des droits humains, médiation en période de crise.

Ce virage a notamment été incarné par Abdou Diouf, secrétaire général de l’OIF de 2002 à 2014. Diouf a renforcé son rôle diplomatique. En généralisant ses domaines d’influence, la Francophonie s’est convertie en soft power multilatéral avec le risque de s’affaiblir sur son cœur de métier, la promotion de la langue et de la culture.

Dans plusieurs pays africains, l’OIF est perçue comme une organisation asymétrique, où la France exercerait une influence disproportionnée. Sa réaction rapide à certains coups d’État (Mali, Burkina Faso, Niger) a renforcé cette image d’ingérence politique sélective. L’institution, jadis perçue comme un levier de coopération Sud-Sud, semble désormais en porte-à-faux avec les aspirations souverainistes des nouvelles élites africaines se conjuguant avec de nouvelles alliances.

Le réveil panafricaniste

Le retrait du Niger ne peut être compris sans le replacer dans un cadre plus large : celui du retour en force d’un discours panafricaniste, particulièrement dans la région sahélienne. Ce discours valorise l’émancipation, la souveraineté, la rupture avec les influences étrangères, et la revalorisation des langues et cultures africaines. Ces politiques publiques décoloniales passent par une nouvelle géographie des lieux (places et avenues renommées) et par le souci d’afficher de nouvelles ambitions linguistiques.

Il ne s’agit plus seulement d’un slogan idéologique, car il structure désormais les politiques de plusieurs États, notamment ceux regroupés dans l’Alliance des États du Sahel (AES). Cette confédération – Mali, Burkina Faso, Niger – entend redéfinir les alliances. Elle veut sortir des logiques héritées de la colonisation, et construire de nouveaux partenariats, notamment avec la Russie, la Turquie ou la Chine.

La difficulté pour les pays sortis de l’ornière de la France, puis ayant fait le choix de quitter la Francophonie, est de pouvoir promouvoir des langues nationales qui à la fois permettent d’affirmer une nouvelle identité culturelle et de porter des échanges commerciaux et économiques.

Les retraits successifs des troupes françaises dans certains pays et l’éloignement géopolitique de la France via la Francophonie peuvent à terme affecter le développement de la langue française.

Si les différents pouvoirs africains souverains la tiennent uniquement comme un héritage colonial, alors il peut y avoir une transition lente vers un affaiblissement du français en Afrique. L’attachement affectif à la langue française ne suffira sans doute pas à justifier son maintien à long terme dans un contexte géopolitique en mutation.

En revanche, les pays francophones se trouvent dans une situation compliquée : même s’ils promeuvent les autres langues nationales, il faudra qu’ils cultivent la langue de Molière dans leurs relations diplomatiques entre eux car les langues des pays africains sont multiples. Le besoin d'opter pour une langue véhiculaire est la condition sine qua non d'une diplomatie réussie.

Une concurrence croissante

Pendant que la Francophonie perd du terrain, d’autres organisations géoculturelles avancent leurs pions en Afrique. Certains pays francophones sont entrés dans le Commonwealth à l’instar du Togo et du Gabon en juin 2022.

Le Rwanda avait inauguré en 2009 cette politique de double adhésion en se positionnant de manière habile au carrefour de ces organisations avec notamment la secrétaire générale de la Francophonie, Louise Mushikiwabo, qui poursuit son second mandat au sein de l’OIF.

Dans le contexte des tensions actuelles entre la RDC et le Rwanda sur les interventions de la milice M23 dans l'est du Congo, la France se trouve dans une position délicate. En effet, il s'agit de ne pas perturber ses relations avec le pouvoir de Paul Kagamé. Kigali a su négocier une place dans l’OIF au prix d’un réchauffement des relations diplomatiques sans polémiques exacerbées autour des responsabilités lors du génocide des Tutsis en 1994.

Avec ses 56 membres, englobant une population de 2,73 milliards de personnes, cette organisation n’est pas confrontée aux mêmes défis. Le Commonwealth, à la différence de la Francophonie, n’a pas besoin d’effectuer une promotion de sa langue qui est vue stratégiquement comme la langue des affaires.

De son côté, la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP), qui regroupe notamment l’Angola, le Mozambique et le Cap-Vert, développe un modèle plus souple et moins centralisé. Elle mise sur la solidarité linguistique, les échanges culturels, et la coopération Sud-Sud, sans s’impliquer directement dans les affaires internes de ses membres.

Plus généralement, ces deux organisations ont en commun de projeter une image moins hiérarchique, moins interventionniste, et surtout, moins marquée par un passé colonial aussi lourd que celui de la France en Afrique.

Quel avenir pour la Francophonie ?

La Francophonie peut-elle encore être un levier de coopération crédible en Afrique ? Oui, mais à condition de se transformer et de se décentrer sur des enjeux moins sensibles comme l’éducation et la jeunesse conformément aux priorités affichées lors du sommet de Djerba en 2022.

Pour cela, elle doit mieux affirmer son caractère d’association des États francophones en adoptant une gouvernance moins centralisée. Elle devra également sortir de l’ambiguïté de la promotion d’un multilinguisme autour d’une langue pour favoriser davantage les langues africaines.

Un soutien à la revitalisation des langues de ses membres permettrait de redorer l'image de l'organisation. Il contribuerait également au renforcement des systèmes éducatifs locaux. Enfin, cela favoriserait la création de maisons d’édition francophones et améliorerait la communication entre les pays francophones.

Plus ces pays communiqueront entre eux, plus la langue française se maintiendra en s’enrichissant de ces contacts, et moins la France sera accusée d’être aux commandes de cette organisation. Cela implique également de réévaluer les liens entre la diplomatie culturelle française et les apports multilatéraux de l’OIF.

Il est temps que la Francophonie soit moins géopolitique et plus géoculturelle, en se recentrant sur les langues, les cultures et le soft power.

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